4è de couverture
Elle a treize ans cette année-là, Anne, treize ans et quelques mois. Mais qu’importe son âge, car son enfance a mille ans. Mille ans comme toutes les enfances lorsque le temps n’existe pas. Pas encore. Enfin pas comme le comptent les grandes personnes.
Aussi loin que sa mémoire la berce, son temps danse, élastique, il pousse avec les feuilles, bourdonne avec les abeilles, déborde comme le grand fleuve. Son temps feule dans le cœur des troncs d’arbres qu’on jette entiers dans les grandes cheminées, il se répète à l’infini, rythmé de jeux et de rêves [...]
Elle est souveraine d’un royaume où l’avenir n’est qu’une lointaine abstraction. Elle ne veut rien d’autre que s’éveiller chaque matin sur un jour comme une page blanche à écrire selon sa fantaisie [...]
Mais l’innocence n’est pas sage. Les grandes personnes le savent bien, qui veillent à mettre fin à cet ébranlement [...]
Ce jour, Anne est une biche aux abois qui éprouve le regard de l’assistance sur sa taille étroite, ses petites épaules toutes raides de la froide majesté attendue d’elle à cette cérémonie qui l’unit à Pierre de Bourbon, seigneur de Beaujeu, âgé de trente-six ans.