L’auteure
Carole Martinez dit avoir été hermétique au Moyen-Age lors de ses études littéraires, et pourtant, elle a consacré à cette époque, deux de ses romans : le Domaine des Murmures et celui-ci.
L’histoire
L'histoire est présentée comme une joute verbale entre la petite fille et la vieille âme, l’âme de Blanche quelques six cents ans plus tard, car Blanche, on le sait dès le début, doit mourir en 1361, à ses 12 ans.
La petite Blanche vit pas à pas le présent qui la rapproche de ce terme fatal mis à son enfance, tandis que sa vieille âme, sereine et apaisée, accueille son récit dans l'océan indifférent du temps.
Nous suivons ses pas menus. Elle ne sait pas encore écrire mais ne veut déjà plus obéir. Une petite flamme toute droite de colère contre son père violent et désespéré, veuf et géniteur de multiples bâtardes issues de copulations à la va vite devant la cheminée, un père qui l’échange contre un soutien financier au seigneur de Hautepierre dont le fils est idiot.
Mais Blanche et Aymon, l'enfant idiot, partagent le même imaginaire enfantin et la même innocence. Tous les deux, vont se bercer sur la Loue, la rivière dangereuse qui cache la Dame Verte, morte sous les coups, et vengeresse à l’égard des hommes.
AMBIANCE
Blanche est morte en 1361 à l’âge de douze ans, mais elle a tant vieilli par-delà la mort. La vieille âme qu’elle est devenue aurait tout oublié de sa courte existence si la petite fille qu’elle a été ne la hantait pas. Vieille âme et petite fille partagent la même tombe et leurs récits alternent.
L’enfance se raconte au présent et la vieillesse s’émerveille, s’étonne, se revoit vêtue des plus beaux habits qui soient et conduite par son père dans la forêt sans savoir ce qui l’y attend.
Veut-on l’offrir au diable filou pour que les temps de misère cessent, que les récoltes ne pourrissent plus et que le mal noir qui a emporté sa mère en même temps que la moitié du monde ne revienne jamais?
Par la force d’une écriture cruelle, sensuelle et poétique à la fois, Carole Martinez laisse Blanche tisser son enfance. Nous retrouvons son univers singulier, où la magie et le songe côtoient la violence et la truculence charnelles, toujours à l’orée du rêve mais deux siècles plus tard, dans ce domaine des Murmures qui était le cadre de son précédent roman.
C’est une histoire à la limite de la fable où le merveilleux côtoie le diable, où les croyances font juger un animal et le condamner au bucher. Elle met aussi ses jalons plus convenus : pestes, famines, bûchers, clercs et manants, seigneurs et serfs, tournois et belles dames, mariages forcés et adultères.
Le Moyen-Age n'est pas celui des livres d'histoire et on n'apprend pas grand chose sur la grande Histoire; en revanche, on vit les ravages de la Peste, les tournois, le temps des seigneurs et des vassaux, la totale soumission des femmes-objets livrées à 12 ans au mariage arrangé.
Ce roman est une initiation à la maturité, une préparation à la perte et à la mort d'un optimisme ensoleillé.
Une fois encore, dans cette langue charnelle et lumineuse qui n'appartient qu'à elle, Carole Martinez sait nous ensorceler. On reconnaît d'abord le domaine des Murmures, perché sur cette Terre qui penche vers les bords de la rivière.
J'ai aimé retrouver des personnages de contes de l'enfance, les mythes élémentaires ou littéraires. De très belles pages, de celles qui vous font voyager dans une autre dimension, celle de la beauté même si elle est parfois cruelle.
J'ai pourtant trouvé à cette alternance des dialogues, un petit caractère d'artifice, comme à l'histoire elle-même, qui s'allonge et s'étire, avec ses redites et ses refrains.
Mais c’est un joli voyage.
http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-Terre-qui-penche