Résumé
«Sa mère et sa sœur savent que Loup dort en prison, même si le mot juste c’est maison d’arrêt mais qu’est-ce que ça peut faire les mots justes quand il y a des barreaux aux fenêtres, une porte en métal avec œilleton et toutes ces choses qui ne se trouvent qu’entre les murs. Elles imaginent ce que c’est que de dormir en taule à dix-sept ans mais personne, vraiment, ne peut imaginer les soirs dans ces endroits-là.»
Comme dans le poème de Verlaine auquel le titre fait référence, ce roman griffé de tant d’éclats de noirceur nous transporte pourtant par la grâce de l’écriture de Nathacha Appanah vers une lumière tombée d’un ciel si bleu, si calme, vers cette éternelle douceur qui lie une famille au-delà des drames.
Un conte atemporel et universel sur la famille et la transmission des traumatismes
Le titre évoque ce poème de Paul Verlaine qui l’aurait écrit en prison après avoir tenté de tuer son amant Arthur Rimbaud.
Un roman qui commence comme un conte « Il était une fois un pays qui avait construit des prisons pour enfants parce qu’il n’avait pas trouvé mieux que l’empêchement, l’éloignement, la privation, la restriction, l’enfermement et un tas de choses qui n’existent qu’entre les murs pour essayer de faire de ces enfants-là des adultes honnêtes, c’est-à-dire des gens qui filent droit. »
D’abord, il y a Loup. C’est en prison que nous le rencontrons, Loup, adolescent étrange et décalé, emmuré dans ses détresses et dont le cœur s’emballe parce qu’il ne sait pas distinguer le réel de l’imaginaire. Loup n’a qu’une seule obsession, retrouver sa sœur, Paloma, partie depuis 10 ans. La retrouver quitte à rouler en pleine nuit à contre-sens sur l'autoroute, à provoquer un accident et à prendre la fuite, ce qui lui vaut de finir sa course devant un juge.
Ce fait divers lève le voile sur le parcours des trois personnages.
Ensuite la mère, le personnage le plus déchirant. Lorsque la mère de Loup était encore une enfant, elle s’appelait Éliette. Plus tard elle changera de nom, devenant Phénix, comme ressuscitée en rayant d'un trait le premier pan de sa vie.
Elle fut une petite fille idéale qui chantait très bien et jouait son rôle habillée en poupée aux vêtements trop serrés et maquillée comme une adulte, chantant admirablement dès qu’on lui demandait, à la fierté de ses parents. Puis une scène du repas de Noël de l'entreprise où travaille son père. Au lieu de chanter, c’est un cri qui sort d’elle, un cri viscéral, effroyable, qui l’entraîne en hôpital psychiatrique. Lieu carcéral, déjà.
Les passages qui éclairent sur les traumatismes de son enfance sont bruts et d'autant plus désespérants qu'ils l'accompagnent adulte puis mère, se transmettant à ses enfants, inéluctablement.
Enfin, la fille aînée, Paloma. Elle a décidé que pour vivre il fallait fuir le plus loin possible de cette mère en souffrance, quitte à abandonner son petit frère et à être torturée par la culpabilité.
Roman court (125 pages), profond et délicat.
La noirceur côtoie la poésie, dans l'intime de ce triangle familial. Natacha Appanah tisse à partir des lambeaux de vie de chacun un texte lumineux qui garde jusqu'au bout une ligne franche et forte.
Pas un mot de trop pour exprimer la palette des émotions humaines, comme dans cette scène où la mère et la fille se retrouvent après dix ans sans se voir, pour rendre visite à Loup :
« Il y a ce regard échangé de loin. C'est la mère qui avance vers la fille parce que cette dernière est pétrifiée – par cette beauté, par cette vague d'émotions qui l'atteint, par le poids de ces dix années, par la difficulté d’être l'enfant de sa mère – et toujours le cœur qui bat, le ventre qui tourne, l'esprit qui se débat pour trouver les mots qui conviennent, mais en réalité c'est autre chose qui prend le dessus et ça ressemble à un début, à quelque chose qui s'ouvre et qui offre on ne sait quoi, on ne sait pas encore comment mais on espère que ça ressemblera à de la tendresse et, pour l'instant, ça leur suffit. »
Le choc de l’incarcération de Loup reconstitue le trio, avec peut-être la résilience au bout, peut-être un horizon moins sombre. La fin ouvre sur un autre conte qui reste à écrire comme un hymne à la vie « Il était une fois un endroit ouvert sur la mer, le ciel et la terre. [...] »