- Auteure
Articles de amelielouis
En attendant Eden - Elliot Ackerman
Tous les jours, Mary est tout près de son époux, à l’hôpital. Tous les jours depuis trois ans, après son retour d’Irak. Eden est inconscient, et ses blessures ne guériront pas. Personne ne sait plus comment l’appeler, sauf elle : c’est son mari, et il est toujours en vie. Leur fille, qu’Eden n’a pas eu le temps de connaître, grandit dans cet hôpital où Mary attend avec patience et détermination un changement. Un jour, en son absence, Eden semble trouver un moyen de reprendre contact avec le monde extérieur. Dès lors, c’est Mary seule qui aura la responsabilité d’interpréter ces signaux et de prendre des décisions, ramenée tout d’un coup face à certaines vérités troublantes sur leur mariage.
D’une profonde humanité, En attendant Eden est une méditation perçante sur la loyauté et la trahison, la peur et l’amour.
Elliot Ackerman est un auteur américain. Il a servi pendant neuf ans dans le Corps des Marines des États-Unis (2003-2012) et a effectué cinq missions en Afghanistan et en Irak. Il est diplômé d'histoire et de littérature.
Je découvre Elliot Ackerman avec « En attendant Eden » ("Waiting for Eden", 2018) qui est son troisième roman.
Un roman intense, magistral d’humanité, porté par une plume d’une rare élégance.
C’est l’histoire d’un soldat américain dont le corps est devenu une masse de chair informe qui se débat pour respirer au centre des grands brûlés. Dès le départ, on comprend qu’il est vivant mais qu’il n’aura plus de vie. « Bientôt Eden devint comme un appendice de son propre corps ».
Le narrateur raconte l’histoire du soldat Eden et la sienne puisqu’il est son ami. Il décrit avec une telle finesse les traces physiques et morales laissées par la guerre sur les soldats (l'Afghanistan puis l'Irak) qu’on saisit immédiatement que l’auteur les a vécues.
On assiste à la lente désagrégation du mental des soldats, à l'incompréhension et à l'éloignement de leurs proches incapables de mesurer l'ampleur des souffrances et des traumatismes qui lézardent leurs relations.
Et puis, le commando de marines auquel appartient Eden saute sur une mine. Ils meurent tous sauf Eden. Mary, sa femme, délaisse la fille qu’elle vient de mettre au monde et s’épuise à accompagner Eden dans le service des grands brûlés. Il pesait cent kilos, il n’en pèse plus que trente, notamment parce qu’il est amputé. Cette amas de chair n’est plus relié au monde que par des moniteurs.
Eden, du fond de son enferment, trouve le moyen de communiquer avec Gabe l'infirmier. Il claque des dents selon le code secret qu'il a appris. Il claque des dents "1,2 / 4,2 / 3,3 - FIN".
Gabe, l'infirmier, n'attend qu'un signe de Mary pour mettre un terme aux souffrances de son époux. Quelle décision prendre ?
Ce roman pose la question de la fin de vie, des soins palliatifs, de l’euthanasie, avec tout ce qui traverse les proches : culpabilité loyauté. Mais il la pose d’une manière subtile, puisque le narrateur « observe la situation d'en haut », et pour cause, il est le compagnon de guerre d'Eden, mort avec le reste du commando, et qui l’attend dans "cet espace vide et blanc".
C’est très habile et très fort à la fois, car le lecteur navigue de la conscience (de l’âme ?) d’Eden à celle de son compagnon et partage leurs secrets. Un livre à lire pour méditer sur ces questions d’une manière différente. J’ai été bouleversée d’un bout à l’autre, émue mais pas triste. En me faisant faire un pas de côté par rapport à la question de la fin de vie, l’auteur m’a amenée à ouvrir une porte.
Le ciel par-dessus le toit – Natacha Appanah
Résumé
«Sa mère et sa sœur savent que Loup dort en prison, même si le mot juste c’est maison d’arrêt mais qu’est-ce que ça peut faire les mots justes quand il y a des barreaux aux fenêtres, une porte en métal avec œilleton et toutes ces choses qui ne se trouvent qu’entre les murs. Elles imaginent ce que c’est que de dormir en taule à dix-sept ans mais personne, vraiment, ne peut imaginer les soirs dans ces endroits-là.»
Comme dans le poème de Verlaine auquel le titre fait référence, ce roman griffé de tant d’éclats de noirceur nous transporte pourtant par la grâce de l’écriture de Nathacha Appanah vers une lumière tombée d’un ciel si bleu, si calme, vers cette éternelle douceur qui lie une famille au-delà des drames.
Un conte atemporel et universel sur la famille et la transmission des traumatismes
Le titre évoque ce poème de Paul Verlaine qui l’aurait écrit en prison après avoir tenté de tuer son amant Arthur Rimbaud.
Un roman qui commence comme un conte « Il était une fois un pays qui avait construit des prisons pour enfants parce qu’il n’avait pas trouvé mieux que l’empêchement, l’éloignement, la privation, la restriction, l’enfermement et un tas de choses qui n’existent qu’entre les murs pour essayer de faire de ces enfants-là des adultes honnêtes, c’est-à-dire des gens qui filent droit. »
D’abord, il y a Loup. C’est en prison que nous le rencontrons, Loup, adolescent étrange et décalé, emmuré dans ses détresses et dont le cœur s’emballe parce qu’il ne sait pas distinguer le réel de l’imaginaire. Loup n’a qu’une seule obsession, retrouver sa sœur, Paloma, partie depuis 10 ans. La retrouver quitte à rouler en pleine nuit à contre-sens sur l'autoroute, à provoquer un accident et à prendre la fuite, ce qui lui vaut de finir sa course devant un juge.
Ce fait divers lève le voile sur le parcours des trois personnages.
Ensuite la mère, le personnage le plus déchirant. Lorsque la mère de Loup était encore une enfant, elle s’appelait Éliette. Plus tard elle changera de nom, devenant Phénix, comme ressuscitée en rayant d'un trait le premier pan de sa vie.
Elle fut une petite fille idéale qui chantait très bien et jouait son rôle habillée en poupée aux vêtements trop serrés et maquillée comme une adulte, chantant admirablement dès qu’on lui demandait, à la fierté de ses parents. Puis une scène du repas de Noël de l'entreprise où travaille son père. Au lieu de chanter, c’est un cri qui sort d’elle, un cri viscéral, effroyable, qui l’entraîne en hôpital psychiatrique. Lieu carcéral, déjà.
Les passages qui éclairent sur les traumatismes de son enfance sont bruts et d'autant plus désespérants qu'ils l'accompagnent adulte puis mère, se transmettant à ses enfants, inéluctablement.
Enfin, la fille aînée, Paloma. Elle a décidé que pour vivre il fallait fuir le plus loin possible de cette mère en souffrance, quitte à abandonner son petit frère et à être torturée par la culpabilité.
Roman court (125 pages), profond et délicat.
La noirceur côtoie la poésie, dans l'intime de ce triangle familial. Natacha Appanah tisse à partir des lambeaux de vie de chacun un texte lumineux qui garde jusqu'au bout une ligne franche et forte.
Pas un mot de trop pour exprimer la palette des émotions humaines, comme dans cette scène où la mère et la fille se retrouvent après dix ans sans se voir, pour rendre visite à Loup :
« Il y a ce regard échangé de loin. C'est la mère qui avance vers la fille parce que cette dernière est pétrifiée – par cette beauté, par cette vague d'émotions qui l'atteint, par le poids de ces dix années, par la difficulté d’être l'enfant de sa mère – et toujours le cœur qui bat, le ventre qui tourne, l'esprit qui se débat pour trouver les mots qui conviennent, mais en réalité c'est autre chose qui prend le dessus et ça ressemble à un début, à quelque chose qui s'ouvre et qui offre on ne sait quoi, on ne sait pas encore comment mais on espère que ça ressemblera à de la tendresse et, pour l'instant, ça leur suffit. »
Le choc de l’incarcération de Loup reconstitue le trio, avec peut-être la résilience au bout, peut-être un horizon moins sombre. La fin ouvre sur un autre conte qui reste à écrire comme un hymne à la vie « Il était une fois un endroit ouvert sur la mer, le ciel et la terre. [...] »
Le bourreau de Gaudi
Le bourreau de Gaudi
(Babel noir) Actes Sud
Résumé (extait)
Un corps en flammes est retrouvé pendu au balcon d'un des monuments les plus emblématiques de Barcelone, La Pedrera, d'Antonio Gaudi. Bien mauvaise publicité pour la ville à quelques semaines de la consécration par le pape de la Sagrada Familia. Les services policiers sont aux abois et réintègrent l'électron libre Milo Malart, révoqué par mesure disciplinaire […].
La police est sommée de résoudre l’affaire au plus vite en raison de son retentissement sur l’image de la ville. Mais l’assassin n’a laissé aucune trace, pas la moindre piste. La police fait appel à Milo, un policier qui ne respecte aucune règle, et le met sous la surveillance d’une coéquipière jeune et jolie.
Evidemment les meurtres s’enchaînent. Toutes les victimes sont des notables dont la mort spectaculaire est mise en scène sur les édifices du célèbre architecte Antonio Gaudi. Tous les ingrédients de la série américaine sont réunis. Facile me direz-vous… mais efficace. Et d’ailleurs l’essentiel n’est pas là, car le personnage principal est sans conteste Barcelone.
On m’a offert ce polar catalan de 750 pages, et à la première heure de lecture je me suis dit « aïe, il y aura des nuits blanches ». Impossible de le lâcher.
Complexe et émaillé de multiples rebondissements, ce roman entraîne dans un rythme qui va crescendo jusqu’à la fin. Pour qui a parcouru passionnément la capitale catalane à la découverte de son patrimoine, pour qui comme moi, est fasciné par l’œuvre de Gaudi, ce roman est un pur délice.
C’est un hommage au génie de Gaudi, à sa créativité hors du commun qui a marqué l’art nouveau. On y découvre son approche personnelle qui s'appuie sur la géométrie et le symbolisme, son style organique inspiré par la nature. Barcelone est magnifiquement décrite, sa lumière et sa face obscure aussi, faite de corruption, d’ambition, car pour grandir, parfois la ville a sacrifié ses enfants.
La psychologie des personnages est également travaillée. Milo cache des blessures, il mène sa propre enquête personnelle sur la mort de son neveu qui se révèlera étroitement liée à l'enquête officielle.
Et que dire du bourreau, cet enfant né des entrailles de la ville ?
L'auteur est né à Barcelone et signe là une véritable déclaration d'amour à sa ville. Barcelone, que je visiterai encore à la lumière de cette lecture palpitante.
Deux hommes de bien
Arturo Pérez-Reverte : né en 1951, a été journaliste, puis romancier. Il est membre de l'Académie royale espagnole.
Traduit par Gabriel IACULLI - Publié au Seuil – Mai 2017
Ce roman historique érudit et documenté, nous embarque à la fin du 18è siècle (1780) entre Madrid et Paris.
A Paris, le siècle des lumières s’épanouit. La fameuse Encyclopédie de Diderot et d’Alembert est considérée comme la plus grande des avancées intellectuelles. Elle est officiellement interdite mais circule sous le manteau si librement qu’elle a déjà connu plusieurs rééditions plus ou moins fidèles.
Au même moment, L'Espagne est soumise au joug de l'inquisition qui réfute toute avancée scientifique contraire aux principes divins. Autant dire que détenir l’Encyclopédie y est totalement interdit.
Mais, voici que l’Académie royale d’Espagne décide de mandater deux académiciens intègres et courageux pour se rendre à Paris et rapporter les 28 volumes de l’ouvrage.
Il y a du don Quichotte et du Sancho Panza dans ces deux académiciens qui s’enfoncent sur les routes de Madrid à Paris infestées de brigands et jalonnées d’auberges inconfortables pour ne pas dire insalubres.
Mais ils arrivent tout de même à Paris. Et c’est avec leur étonnement que nous découvrons les rues, les salons, les librairies, mais aussi les mœurs libertines et les agitations politiques prérévolutionnaires.
Evidemment, leur quête de l’Encyclopédie se révèlera difficile : l’édition originale est épuisée, et deux membres de l’Académie opposés à leur mission ont lancé à leurs trousses une crapule chargée de les faire échouer. Les épreuves traversées feront naître une amitié entre ces deux hommes, l'un militaire et l'autre homme d'église, qui entretenaient au départ une distance polie.
Mais l’originalité de cet ouvrage ne réside pas tant dans l'intrigue que dans sa construction autour de deux trames temporelles. L’auteur imbrique à l'intérieur du roman une autre histoire où il nous explique au fil du récit, comment il a construit son roman historique. Le lecteur a un œil au-dessus de l'épaule de l'auteur tandis qu’il se documente, qu’il fait des repérages, qu’il doute, et participe ainsi à l’œuvre en train de se créer.
Relire les particules élémentaires
On m’a offert récemment « Toute une époque » d’Ariane Chemin, grand reporter au Monde. Il s’agit de 32 portraits et reportages publiés dans le Monde entre 2005 et 2018 et remaniés. Ce n’est pas cet ouvrage que je souhaite évoquer même s’il est joliment écrit, mais le désir de relire Houellebecq qu’il a suscité chez moi grâce à un texte titré « Michel Houellebecq, la tour et le territoire ».
Je me suis donc rendue à la médiathèque avec l’idée de prendre au hasard un titre. Mais conformément à ce que prétend l’article, Houellebecq est l’auteur le plus emprunté, et il n’y avait de disponible que « Les particules élémentaires ».
Soupir, je l’avais lu. Vingt ans déjà ? Je décidai d’aller au bout de ma démarche, certaine qu’il y a vingt ans, je ne l’avais pas abordé comme je le ferai aujourd’hui.
A l’époque, j’attendais une intrigue qui m’apparut faible (l’histoire de deux demi-frères, Michel l’introverti, et Bruno le jouisseur compulsif) mais j’avais apprécié l’écriture, même si j’avais le souvenir pesant d’un langage systématiquement cru lorsqu’il s’agissait de parler de sexe.
J’avais oublié à quel point certaines pensées sortaient des sentiers battus. Parfois provocantes mais méritant qu’on s’y attarde vingt ans après.
« l'univers des cadres moyens et des employés était plus tolérant, plus accueillant et plus ouvert que l'univers des jeunes marginaux »
« la libération sexuelle est un nouveau palier dans la montée historique de l'individualisme »
Je redécouvre la puissance de sa réflexion sur la société de liberté individuelle, du désir omnipotent, de l'exigence de jouir de tout dans l'immédiateté. Michel et Bruno sont les dommages collatéraux de cette société.
A l’aune de plusieurs années dans la protection de l’enfance, j’ai relu ce livre avec un nouvel éclairage, et compris l’isolement définitif des deux personnages et les troubles de l’attachement qui résultent de l’indifférence de leurs parents.
J’ai admiré l’intelligence émotionnelle qui éclaire l’écriture de Michel Houellebecq. Il m’a fallu vingt ans. Je suis un peu lente.
Cinéma : Under the Silver Lake
« Under the Silver Lake » de l’Américain David Robert Mitchell, un voyage initiatique aux allures de thriller délirant dans Los Angeles.
Sam, trentenaire désœuvré et fauché, se lance à la recherche de Sarah, jeune et énigmatique voisine draguée un soir et qui se volatilise le lendemain.
Son enquête obsessionnelle à travers la ville prend la forme d’un voyage initiatique où il plongera dans les ténèbres décadentes de la Cité des Anges. Les énigmes qu’il doit résoudre sont caricaturales : déchiffrer des messages codés dans les jeux des boîtes de céréales ou en écoutant des disques à l’envers.
Derrière une apparence de joyeux bric-à-brac, c’est l’emprise de l’industrie du divertissement sur la culture américaine qui est explorée.
Je recommande ce film étrange et jubilatoire à ceux qui ont aimé “Mulholland Drive” de David Lynch.
L'oeil à facettes, Lormes - février 2018
Soirée parfaite à la galerie de l'Oeil à facettes à Lormes.
https://www.facebook.com/loeilafacettes/photos/pcb.1255599207904957/1255596877905190/?type=3&theater
De la sciure dans les veines - David Ramolet, ELLA éditions
Résumé
De la sciure dans les veines La Plume est un autiste de 30 ans. Mal accepté dans son village, il s'ouvre à l'affection auprès de Brigitte, une prostituée d'une cinquantaine d'années. Parce qu'ils se sont promis un jour d'assister à un spectacle de cirque. Brigitte et la Plume vont non seulement réaliser leur rêve mais également se faire accepter par les circassiens. Les gens de l'ombre, ceux que le public n'applaudit jamais mais avec qui tout est possible.
Rien n'est rouge de François SALMON
Un recueil de nouvelles jubilatoire
à lire absolument pour en voir de toutes les couleurs